Qui n’a pas déjà rêvé aux grandes vacances d’été à la vue d’une montagne de dossiers sur son bureau ? Étonnamment, cette période de repos temporaire, d’une durée plus ou moins longue, n’est pas l’apanage des humains puisque bon nombre de chevaux en bénéficie également, par exemple dans les centres équestres. En effet, il n’est pas rare que des chevaux hébergés en box individuel au cours de l’année soient déplacés au pâturage avec des congénères en période estivale pour plusieurs semaines. Pour les structures, c’est l’occasion de mettre la cavalerie au repos en l’absence des clients, d’effectuer un nettoyage des écuries et de réduire la charge de travail du personnel avant de démarrer une nouvelle année d’activité. Pour autant, comment les chevaux vivent-ils ces changements dans leur quotidien ?
Une pratique anodine pour les équidés ?
À ce jour, nous disposons d’une littérature scientifique abondante exposant les facteurs de risque à court et long termes associés à un hébergement continu en box individuel sur le comportement, la physiologie et la santé des équidés. En comparaison avec des environnements ouverts où plusieurs chevaux peuvent cohabiter dans la durée, la vie en box individuel est notamment associée à une diminution des comportements d’alimentation, des déplacements, des interactions sociales et à des prévalences plus importantes de comportements anormaux (tics, insensibilité à l’environnement…). Ce mode de vie impacte aussi significativement la qualité de la relation avec l’humain et la réactivité émotionnelle des équidés, et est associé à des prévalences plus importantes d’atteintes de la santé (boiteries, engorgements des articulations, coliques, maladies respiratoires…). Compte tenu de l’ensemble de ces indicateurs et de leur prévalence, la vie continue en box individuel constitue un facteur de risque majeur pour le bien-être animal, bien que chaque individu dispose de ses propres capacités d’adaptation. Le bien-être se définit comme « l’état mental et physique positif lié à la satisfaction des besoins physiologiques et comportementaux, et des attentes de l’animal. Il varie en fonction de la perception de la situation par l’animal » (ANSES, 2018). Il est donc important d’être conscient que plus les restrictions alimentaires, spatiales et sociales liées au mode de vie seront marquées, plus les impacts négatifs sur le bien-être seront probables. Ainsi, faire profiter quotidiennement les chevaux qui vivent en box individuel d’une mise au paddock avec des congénères est l’un des moyens efficaces permettant de lever légèrement les restrictions précédemment citées (Werhahn et al., 2012). Néanmoins, une pratique plus radicale telle que la mise au pâturage en groupe pendant plusieurs semaines consécutives en été pourrait-elle aussi induire des effets bénéfiques chez les équidés qui vivent en box individuel le reste du temps ? Et si oui, les effets positifs perdurent-ils lorsque les animaux retournent par la suite en box individuel ?
Un suivi de 60 chevaux bénéficiant ou non d’une période au pré en groupe
En 2020, une étude a été réalisée par l’IFCE et l’INRAE afin d’apporter des réponses à ces deux questions (Ruet et al., 2020). Au total, 60 chevaux de sport, tous hébergés en box individuel dans la même écurie, ont été séparés en deux groupes expérimentaux : 31 chevaux (groupe « Pâturage ») ont bénéficié d’une période au pré en groupe pendant plusieurs semaines au cours de l’été et 29 chevaux (groupe « Contrôle ») ont été maintenus en box individuel pendant toute la durée de l’étude. Plusieurs périodes d’observations de 5 jours chacune ont été réalisées pour tous les chevaux, en continu entre 9h et 16h30 (cf. figure 1) : avant la mise au pré, les cinq premiers jours au pré puis après 20 jours, immédiatement au retour du pré et enfin 3 mois après. Au box, tous les chevaux étaient alimentés avec du fourrage (environ 10 kg/jour/cheval) et des concentrés en quantités variables, distribués en trois repas. Les contacts entre congénères étaient principalement visuels et olfactifs et ils bénéficiaient de sorties régulières en paddock individuel. Au pâturage, les chevaux étaient regroupés en troupeaux de 6 à 8 individus constitués aléatoirement, en mixant hongres et juments, dans des espaces de 5,02 hectares en moyenne. Tous les prés étaient équipés d’abris artificiels et, en complément de l’herbe, les chevaux avaient du fourrage disponible à volonté.
Vivre au pré en groupe améliore le bien-être des chevaux hébergés en box individuel…
Dès les cinq premiers jours passés au pâturage en groupe, les comportements de déplacement, d’exploration de l’environnement, de repos debout et les interactions sociales ont significativement augmenté chez tous les individus. En revanche, l’alimentation a fait l’objet d’une diminution : ceci peut s’expliquer par le fait que les observations comportementales ont été réalisées en journée. Or, en été, les chevaux ont pu modifier la répartition de leurs activités en privilégiant des phases d’alimentation la nuit, lorsque la chaleur et les insectes sont moins présents. En parallèle, une diminution significative des tics, des comportements d’agressivité envers les humains et des postures d’alerte a aussi été observée, renforçant l’idée d’une amélioration de l’état de bien-être des chevaux. Néanmoins, certains chevaux exprimant des attitudes d’insensibilité à l’environnement au box ont multiplié l’expression de cet indicateur par 3,5 lors des cinq premiers jours passés au pâturage. Ainsi, ces chevaux se tenaient à l’écart du troupeau en demeurant inactifs et ne synchronisaient pas leur comportement avec les autres individus (cf. figure 2). Toutefois, l’expression de cet indicateur comportemental a fortement diminué lorsque de nouvelles observations ont été réalisées après 20 jours passés au pâturage. Il est donc possible que certains chevaux aient eu besoin d’une période temporaire d’adaptation aux nouvelles stimulations environnementales et au regroupement avec d’autres individus. Ainsi, au moins une vingtaine de jours seraient nécessaires pour que la mise au pâturage en groupe apporte des effets bénéfiques pour l’ensemble des chevaux. Une précédente étude avait par ailleurs déjà mis en évidence qu’au moins 6 semaines étaient nécessaires pour que les comportements sociaux des chevaux hébergés en box s’expriment d’une manière appropriée à la suite d’une mise au pâturage en groupe (Christensen et al., 2002).
… mais les effets positifs ne perdurent pas lorsque les chevaux reviennent à l’écurie
Lorsque les chevaux ont été observés lors des cinq premiers jours de retour en box individuel, de nombreux indicateurs d’un état de bien-être dégradé ont été mis en évidence. Ainsi, une reprise des comportements d’agressivité envers les humains, des postures d’alerte et des attitudes d’insensibilité à l’environnement a pu être immédiatement observée. Le résultat le plus impressionnant concerne les tics. En effet, avant la mise au pâturage, 4 chevaux sur 31 exprimaient des tics. Au retour en box individuel, 12 chevaux sur 31 présentaient des comportements anormaux tels que des mouvements de langue répétés, des léchages compulsifs des surfaces du box et du tic à l’ours. En parallèle, une diminution significative des déplacements, de l’exploration, du repos debout et des interactions sociales a pu être observée. Enfin, lorsque tous les chevaux ont été de nouveau observés 3 mois après leur retour du pâturage, plus aucune différence n’a pu se distinguer entre les individus ayant bénéficié de la période au pâturage et ceux qui sont restés en box individuel pendant toute la durée de l’étude.
Que faut-il conclure ?
L’ensemble des ces résultats montre que les chevaux modifient leur comportement en fonction de leur milieu de vie et que la vie au pré en groupe est favorable au bien-être, sous réserve d’une bonne gestion de l’accès aux ressources alimentaires, de la présence d’abris et d’une surveillance régulière des équidés (Christensen et al., 2022). Pour autant, les chevaux sont sensibles aux changements dans leur quotidien. En effet, lors du passage du box individuel au pâturage avec des congénères, certains chevaux semblent avoir eu besoin d’une période d’adaptation de quelques jours. Ce résultat a également été observé dans le fonctionnement physiologique des chevaux (Gardela et al., 2020). Il est probable qu’un accès régulier au pâturage en groupe permette de limiter la durée de la période d’adaptation pour des chevaux hébergés le reste du temps en box individuel. De plus, les résultats de cette étude montrent qu‘une période temporaire au pâturage en groupe n’améliore pas le bien-être des chevaux lorsqu’ils retournent en box individuel. De ce fait, il apparait donc nécessaire d’améliorer les conditions de retour à l’écurie, notamment en allégeant les restrictions alimentaires, spatiales et sociales pouvant être induites par le système d’hébergement du box individuel.
Par Alice RUET (ingénieure de recherche & développement « Bien-être des équidés » IFCE)
ANSES (2018). Avis de l’Anses relatif au « Bien-être animal : contexte, définition et évaluation ». https://www.anses.fr/fr/system/files/SABA2016SA0288.pdf
CHRISTENSEN J.W., ANDERSEN A.G., SKOVBO K.N. and SKOVGÅRD H. (2022). Shelter use by horses during summer in relation to weather conditions and horsefly (Tabanidae) prevalence. Applied Animal Behaviour Science, 253, page 105676.
CHRISTENSEN J.W., ZHARKIKH T., LADEWIG J. and YASINETSKAYA N. (2002). Social behaviour in stallion groups (Equus przewalskii and Equus caballus) kept under natural and domestic conditions. Applied Animal Behaviour Science, 76, pages 11-20.
GARDELA J., CARBAJAL A., TALLO-PARRA O., OLVERA-MANEU S., ÁLVAREZ-RODRÍGUEZ M., JOSE-CUNILLERAS E. and LÓPEZ-BÉJAR M. (2020). Temporary relocation during rest periods : Relocation stress and other factors influence hair cortisol concentrations in horses. Animals, 10(4), page 642.
RUET A., ARNOULD C., LEVRAY J., LEMARCHAND J., MACH N., MOISAN M.-P., FOURY A., BRIANT C. and LANSADE L. (2020). Effects of a temporary period on pasture on the welfare state of horses housed in individual boxes. Applied Animal Behaviour Science, 228, page 105027.
WERHAHN H., HESSEL E.F. and VAN DEN WEGHE H.F.A. (2012). Competition horses housed in single stalls (II) : Effects of free exercise on the behavior in the stable, the behavior during training, and the degree of stress. Journal of Equine Veterinary Science, 32, pages 22-31.
© N. Genoux / IFCE
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