Même si les équidés sont des animaux naturellement sociables, l’arrivée d’un nouvel individu au sein d’un groupe déjà formé bouleverse l’équilibre en place. Pour que cette délicate étape se déroule en douceur pour tous les animaux concernés, zoom sur quelques clés de compréhension et sur des bonnes pratiques à adopter.
Une vie sociale naturellement riche et complexe
En conditions naturelles, les équidés vivent en groupe sur des domaines vitaux de tailles variées. Ils établissent des liens sociaux forts et durables entre eux, caractérisés par une proximité spatiale entre individus et l’expression de comportements dits « affiliatifs » (par exemple, se gratter mutuellement). Des relations de dominance se mettent en place aussi, via l’expression de comportements appelés « agonistiques », principalement dans le cas de l’accès à des ressources limitées comme une source alimentaire, un abri etc. Toutefois, de réelles confrontations physiques sont peu fréquentes au sein de groupes stables et évoluant dans suffisamment d’espace, les animaux préférant exprimer des comportements ritualisés afin d’éviter des blessures.
Vivre en groupe nécessite d’avoir des compétences cognitives adaptées aux relations sociales. La recherche en éthologie a permis de caractériser certains aspects de l’intelligence sociale des équidés. Ainsi, il a été montré que les chevaux peuvent se reconnaître individuellement en se basant sur des critères visuels et auditifs (et probablement aussi olfactifs). De plus, grâce à des mécanismes de transmission sociale, les équidés synchronisent naturellement leurs comportements naturels (manger, dormir…) et la circulation d’émotions et d’informations entre eux est facilitée. En résumé, tous ces éléments témoignent de l’importance et de la richesse de la vie sociale de cette espèce. Il est donc particulièrement important de favoriser une vie en groupe chez nos chevaux domestiques afin de préserver leur bien-être.
Modifier la composition d’un groupe établi n’est pas anodin
Intégrer un nouveau venu au sein d’un groupe déjà constitué est un évènement relativement courant. Pourtant, quelques études ont caractérisé les conséquences d’un tel évènement.
Dans une étude menée sur 45 juments de 2 ans vivant ensemble initialement, les chercheurs ont comparé le comportement des animaux lorsqu’ils étaient répartis dans des groupes stables de 3 individus versus des groupes instables où l’un des 3 individus était changé toutes les semaines. L’étude a été menée sur une période de près de 2 mois. Il est apparu que les chevaux des groupes instables ne semblaient pas s’habituer à la modification hebdomadaire de la composition des groupes, que les interactions agonistiques étaient plus fréquentes (menacer, chasser…) et les contacts amicaux moins fréquents (grattage mutuel, poser sa tête sur un congénère…) en comparaison des groupes stables. Ainsi, même lorsque les chevaux se connaissent et ont déjà vécu des regroupements, ces résultats suggèrent qu’il est toujours important pour eux de se rencontrer et d’établir une nouvelle hiérarchie à chaque changement de la composition du groupe.
Une autre étude d’observation dans une écurie active comprenant 51 chevaux a montré que les individus inconnus nouvellement intégrés présentaient une locomotion accrue lors de la première semaine, en lien avec l’exploration de l’environnement et l’établissement de la nouvelle hiérarchie. Ces résultats suggèrent l’expérience pour les nouveaux venus d’une période « sans repos » consécutive à une intégration dans un groupe déjà établi.
La littérature scientifique n’est pas consensuelle au sujet du temps nécessaire à un groupe pour se stabiliser. En effet, certaines études font état d’une semaine, lorsque d’autres ont observé des durées de plusieurs mois. De nombreux facteurs sont sans doute à l’origine de ces variations : âge des animaux, expérience sociale préalable, taille et composition du groupe etc.
Planifier une mise en contact progressive
À ce jour, peu de travaux scientifiques ont été réalisés sur cette thématique. Les procédures testées ont consisté à mettre en contact les chevaux au préalable dans des boxes adjacents, avant une mise au paddock ensemble.
En étudiant le comportement de 60 paires de chevaux, il a été montré que lorsque les deux animaux non familiers étaient au préalable placés dans deux boxes adjacents avec une grille, ils exprimaient ensuite moins de menaces de morsures dans un paddock commun. Ce résultat pourrait sans doute être encore plus marqué en permettant aux chevaux de se toucher réellement au travers d’une ouverture sans grille dans les boxes, et ceci sur une durée plus importante (les études réalisées ont placé les chevaux au box pendant seulement 5 minutes avant la mise au paddock).
L’un des résultats intéressants de cette étude est qu’une corrélation a été établie entre le comportement des chevaux au box et au paddock : plus un individu a montré des menaces de morsures au box, plus il a exprimé des agressions de contact envers l’autre individu au paddock (mordre, taper, pousser). Ainsi, l’observation des fréquences des menaces au box pourrait, dans une certaine mesure, servir de prédicteur du comportement du cheval envers un autre individu lorsqu’ils seront placés ensemble. Ceci peut permettre de réajuster la mise en groupe au préalable et éventuellement d’éviter de placer certains individus en contact.
Pas d’intégration sereine sans prise en compte des caractéristiques individuelles
Plusieurs études ont mis en évidence un fort effet individuel dans l’expression des comportements agressifs. Certains individus peuvent exprimer une fréquence élevée de comportements agonistiques et, dans le cas d’une modification de la composition d’un groupe, des comportements considérés comme inadaptés (par exemple attaquer un autre individu qui a déjà montré des signes de retrait). Il peut donc être important de bien repérer à l’avance les individus les plus susceptibles d’exprimer ces comportements et d’accroître leur surveillance au moment de l’intégration, voire procéder à des aménagements temporaires. Néanmoins, il a aussi été observé que l’expression des comportements agonistiques d’un même cheval pouvait être différente en fonction de l’individu qui est intégré, ce qui reflète une flexibilité comportementale naturelle chez des individus ayant déjà vécu avec des congénères. Au moment de l’intégration du nouveau venu et dans les jours qui suivent, l’observation de tous les individus du groupe et de leurs interactions est donc nécessaire pour s’assurer qu’une nouvelle stabilité est bien en train de se mettre progressivement en place.
Les caractéristiques de l’environnement dans lequel le groupe évolue ont aussi leur importance
En plus de la méthode d’intégration en tant que telle, il convient de s’assurer que l’espace et l’accès aux différentes ressources sont suffisants pour tous les individus du groupe. En effet, il a été montré que plus l’espace disponible (en m²/cheval) est élevé, moins l’expression d’interactions agonistiques est fréquente. De plus, des résultats font également état d’une diminution des comportements agressifs lorsqu’il y a une multiplication par deux ou trois des places d’affouragement et des surfaces de litière pour se coucher, par rapport au nombre de chevaux du groupe. Il est donc nécessaire de bien considérer l’ensemble des paramètres de l’environnement avant de procéder à une intégration.
Par Alice RUET (ingénieure de recherche & développement « Bien-être des équidés » IFCE)
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Crédit photo © N. Genoux / IFCE
